Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Ven 9 Mai 2014 - 20:23
Jour 2 • la Gueule de Bois
Un rai de lumière se pointa sur son visage, tirant Abraham d'un sommeil comateux. La panique fut sa première compagne de la journée. Impossible de se rappeler où il était. C'était tout juste s'il se souvenait de son propre nom. La panique, pourtant, ne fit pas long feu. Il avait tenté de se redresser pour faire le point sur la situation... il crut alors que son estomac allait chavirer. Impossible de s'extirper de la couche sur laquelle il était affalé. Son crâne lui paraissait pris dans un étau. Quelqu'un s'était incrusté pour squatter son cerveau et semblait décidé à perfectionner ses talents en batterie. La bouche de Bram, batteuse et sèche, avait un vieil arrière-goût de...
* Erk... Dégueulasse ! *
Aurait-il été un peu moins dans les choux qu'il aurait également pu prendre conscience qu'il ne sentait pas la rose...pas même la citrouille ou le chou de Bruxelles... Non, une vieille odeur rance, témoin que la soirée avait très certainement dégénéré.
Ses yeux se refermèrent d'eux-mêmes et il replongea dans une sorte de transe mi-sommeil mi-rêve éveillé. Les images qui défilaient devant ses yeux étaient hypnotiques et ajotyaient encore à son mal-être.
* Plus jamais ! *, se jura-t-il. Quand bien même il savait que cela ne l'empêcherait pas de recommencer.
La journée avança ainsi, laborieusement, entre moments éveillés et songes apocalyptiques. Le soleil terminait sa course quand quelqu'un se pencha sur lui, avec un verre d'eau vaguement croupie.La nausée le reprit aussi sec, mais l'inconnu ne s'en laissa rien conter : il plaça le verre droit sur les lèvres de notre jeune Ecossais, lui pinça le nez et le força à avaler. Les trois-quarts du liquide lui dégoulinèrent sur le menton et Abraham manqua s'étouffer à moitié. N'ayant pas la force de lutter, il ne dit rien et se rallongea. C'était tout ce dont il se sentait capable. L'angoisse du lieu étranger, le mystère de comment il avait atterri ici, l'identité de l'inconnu. Tout ça devrait attendre le lendemain.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Mar 20 Mai 2014 - 9:59
Jour 3 • Le premier pas
Quand le soleil indien se posa pour la deuxième fois sur mon visage... eh bien disons que dire que je m'étais déjà senti mieux était un euphémisme. Mais, indéniablement, c'était moins pire que la veille. Les brumes de l'alcool relâchaient doucement leur étreinte. Après tout, une gueule de bois, même coriace (et celle-là l'était, je vous prie de me croire), ne pouvait pas durer pour une éternité.
Je me levai sans trop vaciller. Et je vous propose ici une petite ellipse car je doute que vous goûtiez le récit de mes ablutions matinales.
J'achevai tout juste la délicate tâche de me raser avec une main tremblotante (moins pire qu'hier, j'ai dit... ça ne voulais pas dire "mieux") quand je me souvins soudain de... La réminiscence me frappa soudain, achevant de me réveiller mieux qu'un pairol entier de café. Je sentis à nouveau la main, fraîche, qui avait essuyé mon front au plus fort de ma nausée. Je la sentais presque aussi bien que si elle était présentement posée sur mon front. Je n'étais pas un as de la déduction, certes, mais une main impliquait un bras, lui-même rattaché à un tronc appartenant à une personne (ou alors devais-je m'enfuir en hurlant?). Quelqu'un m'avait donc tenu compagnie pendant mon « absence ». Au vu de ce que mes yeux, enfin ouverts, découvraient, le quelqu'un en question avait fait plus que me tenir compagnie. Il m'avait probablement recueilli quand j'étais incapable de me rappeler de mon propre nom. M'avait-il traîné à travers la ville jusqu'à sa masure (oui, ce n'était pas exactement le grand luxe, mais je n'allais pas me payer l'orgueil d'être regardant) ou avais-je réussi à atterrir jusqu'ici en tenant je-ne-savais-quel-discours jusqu'à ce que, pris de pitié, il accepte de m'héberger ? Fichue mémoire noyée dans l'alcool !
Pour ce que j'en savais, j'avais peut-être vendu père et mère, dévoilé mes plus intimes secrets et révélé le contenu de ma mission. Allais-je pour autant prendre la résolution de ne plus boire ? A quoi bon, je ne la tiendrai pas. Il fallait être réaliste dans la vie.
Je m'apprêtai à faire le pied de grue toute la sainte journée si nécessaire (je n'allais tout de même pas m'enfuir comme un voleur !) quand la porte -en bois vermoulu- s'ouvrit sans un grincement, dévoilant mon quelqu'un. A conjuguer au féminin. A moins que mes yeux ne m'abusent, j'avais devant moi une femme, plus jeune que moi de quelques années à peine. Ses yeux noirs insondables me tombèrent dessus, sans que son visage n'affichât la moindre expression.
Pour ne pas faillir à ma réputation, je fis un troll de moi, bafouillant laborieusement un Salut.
Un éclair blanc lui fendit le visage et il me fallut un instant pour comprendre qu'elle riait. dans un anglais presque parfait, elle m'expliqua m'avoir trouvé l'avant-veille complètement ivre, affalé dans une ruelle glauque, m'avoir porté jusque chez elle (à cette mention, elle agita tranquillement sa baguette magique. Elle avait vu la mienne, elle nous savait de la même race), et m'avoir apporté quelques soins rudimentaires. Elle avait vaguement craint pour ma vie et moi, je la trouvais plutôt bavarde pour une étrangère. Même si je ne comprenais pas la moitié de ce qu'elle me disait, tant son anglais était teinté d'un bel accent chantant. Elle parlait tant et tant que je perdis le fil et m'abîmai dans mes pensées. Elle eut un nouvel éclat de rire et décréta que j'avais besoin de m'aérer. Elle m'entraîna avec elle et je découvris le petit monde dans lequel elle vivait. Sa cabane était posée aux abords d'un rain. Au-delà, la forêt s'étendait impénétrable. indéchiffrable. L'essence des arbres m'était inconnue. Cocotier, mouroungue, frangipanier, karivepilail, bananier (mais y avait-il seulement des bananes en Inde ? Ne confondais-je pas avec l'Afrique), lilas d'Inde, florilège de noms aux consonances exotiques que j'étais incapable de reconnaître. Me laissant à mes découvertes visuelles, mon inconnue se taisait. Elle se contentait de fredonner une étrange mélopée enivrante. Je me sentais complètement dépaysé. Tous mes points de repères avaient disparu et, malgré mes recherches et mes tentatives de préparation, j'étais perdu et bien perdu.
Comme pour me rappeler à la réalité, mon ventre émit une protestation sonore, sous forme de gargouillis pas spécialement discrets. J'aurais donné n'importe quoi pour une pognée de chocogrenouilles. Ma sauveuse se tourna vers moi avec un sourire et me proposa de me faire découvrir les alentours. Nous allions commencer par le marché et une petite pause dégustation.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Ven 30 Mai 2014 - 12:07
Jour 4 • La rencontre
Notre promenade de la veille m'avait sérieusement revigoré, en plus de me mettre au diapason de ce pays dont j'ignorai tout ou presque (avant de me faire fustiger pour mon manque de sérieux, je tiens quand même à préciser que j'avais fait quelques recherches sur l’Inde au préalable. Quand même ! Mais quiconque a voyagé pourra vous le confirmer : il y a un abîme entre ce que les bouquins racontent et la réalité de la vie sur place). La balade avait beau m'avoir rafraîchi les idées, il m'avait quand même fallu deux bonnes heures avant de me rendre compte que si j'avais les idées si fraîches, c'était en partie due à la pluie qui nous tombait dru dessus. Je ne sais pas quel malheur le ciel pleurait, mais il ne semblait plus vouloir s'arrêter.
De mon troisième jour, rien de plus à ajouter. Rien d’éminemment palpitant. Je pourrais vous parler de la cuisine de Shara (ma guide, de son vrai prénom Akshara, qu'elle préférait tronquer pour plus de simplicité), de l'odeur de la mousson ou de la qualité des silences hindous... certes. Mais ça ne ferait pas vraiment avancer le schtrucmuche. Ou peut-être ai-je juste envie de garder ça pour moi.
En début de matinée, je glissai une petite mention des Bhumes à Shara. Son visage se ferma soudain et je craignit d'avoir prononcé le mot interdit. Malgré sa langue bien pendue, il lui fallut un moment pour me révéler la cause de son malaise. Comme beaucoup de sorciers dans la région, elle était de la caste des Durga. Son karma avait voulu qu'elle tombât amoureuse d'un jeune Bhume, caste paria qui lui interdisait à jamais d'espérer pouvoir l'épouser. Elle glissa, à contre-cœur, qu'elle pourrait me le présenter, mais qu'à compter de ce moment, nous ne pourrions plus rester en contact. Ces histoires politiques de castes, de rangs et tout le bastringue étaient trop subtiles pour moi, trop subtiles pour que j'ose protester.
Le reste de la matinée en fut teinté de morosité et nous n'osâmes plus nous aventurer sur des sujets délicats. Nous avions pourtant longtemps débattu des croyances de nos peuples respectifs. Elle s'était étonnée de mon peu de foi, de mon absence de Dieu et de mon rapport à la mort et à ce qui s'ensuivait. J'avais été surpris de sa résignation à accepter ce qu'elle appelait son karma et qui semblait la justification de toutes les peines qui parsemaient sa vie. Aux alentours de midi (je restai vague sur mes appréciations du temps, me fiant à la course du soleil plus qu'à mon horloge biologique complètement chamboulée par le décalage horaire), Shara s'absenta pour envoyer une missive à son amour interdit, avant de revenir, l'air abattu, résignée aux "au revoir" qui se profilaient devant nous. Je ne la connaissais que depuis une petite journée (deux, si l'on comptait celle où je gisais sur sa paillasse, pathétique et inconscient), mais déjà, il m'était difficile de devoir la quitter. Nous nous promîmes à demi-mots de s'échanger quelques hiboux. Puis le temps ferait son affaire et la distance se glisserait entre nous. De ceci, je ne dis rien. Elle était plus sereine que moi, en définitive, glissant que le destin se chargerait peut-être de nous réunir une nouvelle fois.
Son amoureux de Bhume m'attendait à quelques ruelles de là, dégoulinant de la pluie qui ne cessait de tomber. Pas un instant je ne m'étonnai que tous autant qu'ils étaient, les sorciers indiens semblaient résignés à affronter la pluie, plutôt que de se parer de sortilège imperméable. J'imagine que leur code du secret était aussi coriace que le nôtre. Bien moins bavard que Shara, le Bhume se contenta de me saluer d'un hochement de tête et de m'inviter à le suivre. En quelques mots, il me dit tout ignorer de ma visite. Mais peut-être Madan, le « chef » de leur communauté, en saurait un peu plus.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 31 Mai 2014 - 20:32
Jour 5 • La prise de repères.
Indeed. Madan en savait probablement un peu plus mais n'avait pas semblé décidé à partager ledit savoir. A peine débarqué dans leur communauté, qui siégeait à quelques miles de là, aux abords d'un fleuve qui menaçait singulièrement de déborder, il m'avait signifié mes quartiers d'un geste de la main et m'avait gratifié d'un grognement pour tout discours de bienvenue. Autant dire que je m'étais senti accueilli comme un roi.
Mon moi habituel se serait rebiffé et aurait fait rentré la suffisance de ce Madan dedans sa gorge avec une bonne petite réplique bien sentie...
* Hum hum... *
Précisément. C'était cette même petite voix qui m'avait appelé au calme et fait ravaler ma fierté. Je n'avais pas exactement le choix. Si je voulais rentrer un jour en Ecosse, il me fallait cette sphère de prophétie. Et je voulais vraiment rentrer en Ecosse. Je m'étais alors branché en mode profil bas, et avait suivi la direction indiquée pour échoir dans une maisonnette qui n'avait probablement jamais connu de Récurvite. Je m'y étais installé tant bien que mal.
Et j’y étais encore, présentement, près de vingt-quatre heures plus tard. J'avais bien tenté une petite sortie, une à deux fois au cours des dernières heures. Mais à ma curiosité et mes tentatives de lier connaissances, on n'avait jusque-là opposé qu'un silence neutre, voire hautain, voire même carrément hostile. J'étais donc là, à compter les toiles d'araignée (rien de plus universel que les araignées), à me creuser le peu de cervelle en ma possession. Devais-je forcer le contact ou risquai-je alors de provoquer une animosité dépassant le point de non-retour ? Ou devais-je attendre patiemment qu'on me somme, au risque de passer pour un individu dénué d’amour-propre et d'initiative ?
Je me préparai mentalement pour une énième sortie, quand une silhouette se dessina devant ma porte ouverte (je l'avais laissée ainsi dans l'espoir que les Bhumes y voient un signe... d'ouverture. Mouahaha!). L'individu, de sexe masculin et à l'âge incertain, se présenta rapidement comme étant mon guide (façon courtoise de dissimuler la véritable fonction de chaperon, d'espion et de défenseur du bien commun) et s'élança dans un tour du village au pas de course. Je m'empressai de le suivre, tandis qu'il m'égrainait pléthore de noms, sans que je sache s'ils étaient rattachés à des individus, des lieux, des fruits ou aux derniers sortilèges à la mode.
* Tu crois que leurs sortilèges sont les mêmes que les nôtres... *
Je m'avouai mentalement ne pas avoir réfléchi à la question.
* Les nôtres sont un mélange d'anglais et de latin. Une pointe de français de-ci, de-là... Les leurs sont plus probablement en sanscrit... *
Personne ne m'avait stipulé qu'il fallait connaître le sanscrit pour accepter cette mission (enfin, accepter... un bien grand mot!). Quoi qu'avec un peu de chance, mes sortilèges en sanscrit auraient pu moins sentir le moisi que leurs homologues anglo-saxons...
Le tour du village achevé, il me planta là. Devant un carré de terrain vierge de toute végétation. Abasourdi, des milliers de questions aux lèvres, je finis par supposer que tel était l'espace qui m'était alloué pour ma session « Cinq fruits et légumes par jour ».
« Irfinn ! », jurai-je tout bas en gaélique.
Puis, sans un mot de plus, retournai à mon cabanon chercher mon nécessaire à jardinage : graines, plants et autres râteaux. Rien de tel que quelques outils traditionnels pour se ridiculiser un chouïa. Tout en ratissant le sol sous cette pluie qui délavait tout, je réfléchissais à toute vitesse. Il allait falloir que je cogite vite vite à cette problématique de langage des sortilèges, d'universalité des enchantements. Et que j'y trouve une solution.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 31 Mai 2014 - 20:59
Jours 6 à 11 • L'épreuve d'endurance
J'avais beau avoir été mandé expressément par la communauté Bhume (du moins était-ce qu'on m'avait dit), les membres de cette caste ne semblaient pas particulièrement pressés de bénéficier de mes lumières. Les premiers jours que je passais à travailler sur mon coin de terre, je n'eus pour seule compagnie que quelques jeunes enfants désœuvrés, probablement amusés par cet adulte qui avait de la boue jusqu'au coude, un coup de soleil impressionnant (avec toute cette pluie, allez savoir comment j'avais réussi à capter le moindre rayon de soleil...!), et toute une flopée de jurons absolument incongrus. Les adultes, quant à eux, me jetaient à peine un regard, méfiant plus que curieux. Et je pouvais compter sur les doigts d'une main (qui aurait perdu quelques doigts au passage) le nombre de salut que l'on m'adressa. Mais, dans mon dos, je sentais que l'on m'épiait. Il y avait toujours quelqu'un, non loin de moi. Oh, bien sûr, ce quelqu'un était toujours attelé à une tache ô combien crédible, mais j'étais certain de pas être victime de ma seule paranoïa. On me laissait circuler librement, mais au moindre geste menaçant, je ne doutais pas un seul instant qu'une meute de Bhumes soit prête à me tomber dessus et à me mettre au fer. Ils n'étaient pas agressifs, certes pas ! Je ne crois pas que la violence soit dans les gênes des peuples de l'Inde, pays étrangement pacifique. Non, j'avais surtout le sentiment de passer une sorte d'épreuve initiatique. Qu'on me laissait la part du doute, qu'on me donnait un temps pour faire mes preuves. Temps qu'eux consacraient à se faire une idée de moi.
Je n'essayais pas pour autant de faire bonne figure, d'être un bienheureux surfait. Ce n'était pas dans mes gênes à moi que d'aimer jouer à qui je n'étais pas. J'étais depuis toujours persuadé que ça ne ferait que me desservir, à long terme. Et si j'étais amené, comme prévu, à passer plusieurs semaines au milieu des Bhumes, je devais commencer par être moi-même. Dans le cas contraire, peut-être m'auraient-ils accepté plus vite. Peut-être. mais prendre les autres pour des imbéciles n'était pas le meilleur moyen de jeter de bonnes bases pour les relations futures.
Je m'échinai ainsi tout seul dans mon esquisse de champs, quelques jours durant. Ce qui était plutôt une bonne chose, étant donné que, même tourné dans tous le sens et examiné sous tous les coutures, le problème du langage magique m'apparaissait tout aussi obscur qu'au premier jour. Étrange que ce genre de « détails » ne me soit jamais venu à l'esprit.
Vous allez me dire que, pour un gars qui cultive des citrouilles en France (ou rappelons-le, le quidam moyen s'exprime en français), la question du dialecte des sortilèges ne se soit jamais posée. Mais, dans mon coin d'Hexagone, on se fichait bien de la langue que je parlais, ou qu'utilisait mes collègues, pour peu que les résultats soient au rendez-vous. On nous demandait de cultiver des cucurbitacées, pas d'écrire un bouquin de linguistique. Et, entre nous, nous discutions de tout et de n'importe quoi. Mais pas de sortilèges jardiniers.
Il allait pourtant falloir que je trouve une solution, et vite. Dès le douzième jour (peut-être aurais-je dû dire : « au terme du douzième jour, enfin »), deux ou trois Bhumes se présentèrent, tôt le matin, aux abords de mon champ. Un air ô combien sceptique collé au visage, mais la mine déterminée, la baguette dans une main et des outils dans l'autre.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 7 Juin 2014 - 20:58
Jour 12 • Le commencement
De fait, en ce matin du douzième jour, j'eus l'impression que mon évaluation commençait tout juste. Les Bhumes m'avaient observé, analysé sous toutes les coutures et connaissaient probablement, désormais, mes tics et me jurons favoris, ma manie de me gratter le crâne quand quelque chose m'échappait, et le nombre exact de cheveux qui poussaient sur ledit crâne. Ils devaient avoir décidé que j'étais inoffensif (tout seul contre une marée d'Hindous, avec ma magie défaillante et leur méfiance dans l'équation, tu m'étonnes que j'étais inoffensif !) et que, peut-être, mes drôles de manière, ma persévérance et mon petite manège, autour de ce petit lopin de terre qui n'avait rien demandé à personne, toutes mes lubies donc avaient peut-être quelque chose à leur apprendre. Je sentais, je savais qu'il faudrait me surpasser pour mériter leur attention. Dans le cas contraire, ils se détourneraient de moi plus vite qu'ils ne m'avaient accordé leur intérêt. Et je n'étais pas sûr d'avoir droit à une seconde chance.
Je saluais mes trois courageux (tous des hommes) d'un sourire pas trop ostentatoire. J'avais le sentiment que le trop, comme le pas assez, ne ferait que les faire fuir. Puis, j'entamai ma journée comme toutes les précédentes, à savoir trempé jusqu'aux os mais empreint d'une détermination sans faille. Enfin, j'avais gagné leur attention ! Et comme toutes les journées précédentes, je commençai par un rapide tour d'inspection de mes premières tentatives d’agriculture locale. A mesure que j'arpentai mon bout de terrain, je débitai, d'un ton lent et avec maintes hésitations (ils avaient l'air de tous comprendre l'anglais mais m'étais avis que les termes trop compliqués leur seraient inintelligibles) quelques contes et légendes tout droit venus de mon Ecosse natale où la nature et le respect des éléments avaient une place centrale.
* Et regarde... *
Sans avoir l'air de délaisser ma sacro-sainte concentration, je jetai à mon maigre auditoire un léger coup d'œil. Et, surpris, j'y lus un semblant d'approbation. En quelques mots, j'avais gagné plus d'estime qu'avec mes efforts (et mes courbatures) de ces derniers jours. C'était comme si, soudain, j'avais enfin fait preuve d'humanité. Ou d'un trait de caractère dans lequel ils pouvaient se reconnaître, s'identifier. En partageant une petite part de ma culture, de mes traditions, j'avais ouvert la brèche à un véritable échange (certes, uniquement visuel pour l'instant)... Mais dans les quelques mots que l'un d'eux laissa échapper, je sentis que, pour une fois, je ne leur apparaissais pas si différent d'eux qu'ils ne l'avaient cru.
Pendant le reste de la matinée, je poursuivis ma tentative d'approche, plus ou moins maladroite. Je me contentai de répéter les gestes qui m'étaient désormais familiers : deux trois coups de bêche, quelques formules magiques, le tout agrémenté de commentaires qui se voulaient simplement...ludiques. Je ne les sentais pas encore disposés à un cours magistral. Ils semblaient se contenter de l'exemple et cela me suffisait, à moi aussi. j'avais l'impression d’avoir fait un pas de géant dans la bonne direction.
J'étais occupé à faire une énième légende orale de mes faits et gestes, moulinant de grands gestes comme j'en avais l'habitude, quand un éclair bariolé traversa le ciel et manqua s'écraser sur moi.
Dans un premier temps, je ne remarquai rien. Ce furent les rires de mes trois énergumènes qui me firent prendre conscience que ce qui s'avérait être un perroquet (ou, du moins, un truc à plumes arc-en-ciel) ne s'était pas contenté de me prendre pour une piste d'atterrissage : il avait également embarqué ma baguette au passage.
« Irfinn ! », jurai-je entre mes dents.
C'était probablement une chance que la langue gaélique soit si mélodieuse, car aucun des trois hommes ne sembla s'offusquer de mon vocabulaire. Je n'eus pas vraiment le temps de m'attarder sur cette constatation : je venais de m'élancer à la poursuite de mon voleur emplumé.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 7 Juin 2014 - 21:13
Jour 13 • La chasse
La veille au soir, j'étais rentré bredouille de ma poursuite (des ailes versus une paire de jambes peu entraînées, devinez qui gagne ?). Si j'étais revenu au village avant d'avoir récupéré ma baguette, c'était plus pour ne pas perdre, en m'absentant, la maigre considération et la faible attention que j'avais su gagner auprès de mes quelques Bhumes, que par manque de talents en matière de poursuite.
* Ou bien, c'est juste une bonne excuse, quand tu aurais été incapable de l'attraper... *
Je ne répondrai même pas à un sous-entendu aussi vile... Inutile de vous dire que j'avais passé une sale nuit (moi qui m’enorgueillissais d'avoir apprivoisé le décalage horaire). je me voyais déjà, ridicule parmi les Bhumes, inapte à leur enseigner quoi que ce soit sans baguette. Je retournai le problème dans tous les sens et ne parvenais pas à trouver une vraie solution qui aurait pu apaiser les crampes de mon estomac.
Ce fut donc les yeux cernés et le moral en berne que j'entamai cette nouvelle journée au milieu de mes autochtones préférés. Le récit de mes non-exploits de la veille avait dû faire le tour de la communauté car je jurerai avoir entendu quelques rires et commentaires étouffés sur mon passage. je gardai néanmoins la tête haute et les épaules droites, m'enveloppant dans mon orgueil.
Devant mon bout de terre, je retrouvai mes trois Bhumes que la journée de la veille ne semblait pas avoir découragé. Mieux encore, de la terre détrempée, semblait jaillir quelques pousses fragiles et verdoyantes. mes efforts semblaient avoir payé.
Faute de baguette, je me contentai d'un simple tour d'inspection. Et essayai de justifier mon manque d'action par le fait que gratouiller la terre à longueur de journée faisait plus de mal que de bien.
Je crois que je ne trompai personne. Ma petite session matinale terminée, je n'avais qu'une envie, me lancer en quête de ma baguette que je n'avais jamais tant aimée qu'aujourd'hui.
Je m'éclipsai rapidement, après quelques excuses, quand tout le monde (si le monde se résumait à trois types vaguement intéressés par le concept d'agriculture) savait à quoi j'allais occuper mon temps. Je rassemblai ma volonté et m'élançai sur les traces de mon perroquet, reprenant ma quête là où je l'avais abandonnée la veille. Une fois n'était pas coutume, je sentais que des regards me suivaient. Et pour cause, quelques gamins me filaient en silence, dans un mélange de curiosité, de scepticisme et aussi... un je-ne-savais-quoi que je n'aurais pu définir.
Je passai ainsi le reste de la journée à arpenter le pays alentour, tressaillant dès qu'un peu de couleur criarde envahissait l'horizon. Deux ou trois fois, je jurerais que j'avais été sur le point de mettre la main sur mon voleur à plumes. Mais toujours, il avait une avance de quelques coups d'ailes sur moi. En quelques heures, j'en apprenais plus sur les mœurs du perroquet que je ne l'avais fait des coutumes bhumes en deux petites semaines.
Sale, détrempé, couvert de boue et autres matières peu ragoûtantes, je n'acceptai la défaite, le soir tombé, qu'après avoir localisé, avec une quasi-certitude, l'endroit où nichait mon bandit volant. La fatigue, la lassitude, et la luminosité décroissante étaient des adversaires trop coriaces pour que je m'occupe de l'animal le soir même.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 7 Juin 2014 - 21:24
Jour 14 • La reconnaissance
En rentrant, au soir du treizième jour, je n'avais pu manquer de constater les regards qui s'étaient posés sur moi. pas vraiment inquiets mais franchement inquisiteurs, comme si, par leurs seuls yeux, les Bhumes avaient pu traverser mon esprit et y lire le récit de ma journée (les mômes avaient abandonné ma trace au bout de deux heures à peine). C'était même la première fois depuis mon arrivée ici que je sentais autant de concentration dans l'attention qu'ils me portaient.
Je sentais cette même tension dans le regard qu'ils portaient sur moi, ce matin. Mais peut-être étaient-ils tous des legilimens en puissance auxquels il était impossible de dissimuler le moindre secret. J'étais tendu, incertain quant à la raison d'un tel intérêt. Je m'étais pourtant levé aux aurores dans l'intention d'accomplir ma quête avant de reprendre mes superbes leçons en plantation. Jamais je n'aurais pensé que la moitié de la population était debout à peine le soleil levé. Pour la discrétion, je pouvais repasser.
* Allez ! D'ici une heure ou deux, tu auras retrouvé et ta baguette et ta légitimité. *
J'adressai un sourire intérieur à la petite voix qui squattait ma tête. Quelques encouragements, dénués de sarcasme... J'en avais vraiment besoin pour attaquer la journée...
Je m'élançai donc sur ma piste de la veille, tentant vaillamment de retrouver mon voleur et... Un grand merci à mon sens de l'orientation, sans qui un tel exploit n'aurait pas été possible. En un quart d'heure à peine, avec une meute de Bhume (ô combien silencieux, pourtant, quand je me frayai un chemin dans la végétation avec autant d'élégance et de discrétion qu'un éléphant malhabile), j'avais déniché l'emplacement exact du nid (du refuge ? de l'antre ?) de mon perroquet baguettophile.
Je m'apprêtai à escalader l'arbre sur lequel était perché mon énergumène emplumé (et à me ridiculiser royalement au passage). Je le voyais même me narguer du haut de sa branche. Je m'apprêtai donc à gravir le tronc et attraper mon bandit volant, quitte à en découdre avec lui, j'avais même commencé à gravir péniblement quelques centimètres par la seule force de mes poignets...quand je constatai, pour la énième fois, l’attention presque douloureuse que me portaient les Bhumes. Ils ne disaient rien, se contenter de me fixer en silence. La tension était presque palpable, et je m'inquiétai de ne pas réussir à en deviner la cause. Quelques centimètres supplémentaires. Et d'autres encore. Le perroquet continuait de me narguer. Bientôt, il ne me suffisait qu'à tendre la main pour l'attraper. J'entendis presque mes Bhumes retenir leur respiration, dans un bel ensemble collectif. Une nouvelle fois, je jetai un regard dans leur direction, et je vis sur leur visage de l'inquiétude, presque de la colère.
Le perroquet profita de mon inattention pour s'envoler. Le brusque mouvement me fit perdre ma concentration et mon équilibre. Je chutai sans la moindre grâce au bas de mon arbre.
Sonné.
Je me sentais soudain las, fatigué de devoir toujours courir après l'impossible :
« All right ! Keep it ! », lançai-je à l'animal qui n'en avait strictement rien à fiche et s'éloignait, ma baguette au creux de ses serres. Il n'était déjà plus qu'une tâche à l'horizon.
Une main apparut dans mon champ de vision. Tendue. Attendant que je la saisisse. Je l’attrapai sans demander mon reste. Agréablement surpris. La femme qui me l'avait prêtée pour m'aider à me relever m'adressa un semblant de sourire. Elle avait au cœur des yeux quelque chose qui ressemblait à du respect. Je devais halluciner complet. Pourtant, autour de moi, les murmures avaient repris. Non plus hostiles, ni même sceptiques, mais curieusement approbateurs.
Plus tard, j'apprendrai que les Bhumes vénéraient presque l'animal perroquet, et qu'en refusant de m'en prendre à lui, en lui laissant ce qu'eux considéraient comme mon bien le plus précieux, j'avais enfin réussi à obtenir ce que je souhaitais d'eux depuis le début ! la reconnaissance.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Mer 9 Juil 2014 - 21:14
Jour 15 • L'aube du changement
Mais comme j’étais encore tout ignorant de cette vénération que le perroquet inspirait aux Bhumes, le matin du quinzième jour, je manquais de tomber raide mort de surprise, devant la foule qui m'attendait devant mon petit carré de terre détrempé. Ça n'était plus un petit groupuscule de curieux (ou d'êtres m'ayant pris en pitié, au choix... Bien que je penche plutôt pour la deuxième option), mais une véritable délégation de Bhumes qui m'attendaient tel le Messie. Ouais, bon, j'exagérai, mais à peine. Je me sentais exsuder une aura divine à voir un tel revirement dans l'attitude de ce peuple qui m'avait accueilli à contre-cœur. J'étais tellement ravi que j'avais franchement pas envie de me poser la question du pourquoi d'un tel virage dans leur attitude. Pas envie de comprendre qu'ils avaient décidé de monter un spectacle de clown en s'inspirant de moi pour leur personnage principal ou qu'ils avaient finalement décidé de replonger pour de bon dans le carnivorisme... voire même le abrahamivorisme. Bref, je vivais plus heureux en restant ignorant et stupide, et ne m'interrogeai pas plus que ça.
Comme si de rien n'était (essayez donc avec une meute de types et de nanas qui fixent le moindre vos gestes, sans compter les mômes qui s'empressent de reproduire la moindre de vos mimiques, exagération à l'appui), j'entamai donc ma séance jardinage, à l'instar des autres matins.
Sauf que...
Pas facile de se concentrer avec une cohorte d'hindous, loin d'être des pros de l'auto-disciplines. Tant qu'il n'était qu'une poignée, ils réussissaient à être discrets et à faire semblant d'être des élèves attentifs. Là, en multipliant les effectifs par vingt, c'était la vraie foire au n'importe quoi. La mousson devait les rendre euphoriques ou ils s'étaient tous shootés à la belladis avant de venir, mais, bref, on aurait dit une grande bande de gosses qui sautaient dans la gadoue. Ouais, j'exagère encore, je sais. Mais dans le brouhaha ambiant, j'avais du mal à me concentrer. Et puis, chose étrange, je me sentais plutôt démuni sans ma baguette.
J'aurais volontiers baissé les bras, si je n'avais pas eu le sentiment que tourner les talons, juste pour aujourd'hui, certes, sonnerait le glas de mes aspirations à être élu Grand Maître Jardinier. Alors, bon gré, mal gré, je poursuivis et terminai ma leçon de plantation tant bien que mal. Les Bhumes ne semblèrent pas plus déçus que ça (mais aussi, ils n'y connaissaient rien du tout. J'aurais eu une sentence d'échec moins violente que l'interdiction formelle de remettre la moitié d'un orteil chez moi, je me serais éclaté à leur faire gober n'importe quelle bêtise agricultrice, à mes Bhumes), et s'en allèrent même avec le sourire.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Jeu 10 Juil 2014 - 20:52
Jours 16 à 24 • La transmission du savoir-faire
Au cours des jours qui suivirent, la masse des Bhumes venus assister à mes leçons jardinières ne diminua que très peu. Leur enthousiasme un peu loufoque se dissolut progressivement, et l'un d'entre eux se hasarda, le dix-septième jour, à m'expliquer un certain nombre de choses. L'affaire au perroquet, parmi bien d'autres. Il s'appelait Sabrang, ce qui, dans sa langue, signifie « arc-en-ciel ». Non seulement m'éclaira-t-il sur des mystères qui m'avaient plongé dans la plus grande perplexité, mais il fut aussi celui, qui, me voyant démuni, me tendit sa baguette sans plus de cérémonie. J'ignorai quel était le rapport que les Bhumes entretenaient avec ce frêle instrument de bois, mais je tiens à souligner ici que jamais, jamais, jamais, un Anglo-Saxon n'aurait ainsi prêté sa baguette à un étranger, même si il avait épargné un perroquet (ou s'il avait sauvé l'heure du thé, pour rester dans le typique). Je crois que ce geste, un morceau de bois qu'on me tendait sans cérémonie, marqua un tournant véritable dans mes relations avec ce peuple carnivore. Comme si l'offre de Sabrang, bien plus qu'une assistance à un type roux, maladroit et amputé de sa magie, était la poignée de main qui signait une sorte de conciliation entre nos deux univers.
Armé de sa baguette, bien plus obéissante que la meilleure de miennes (plus tard, il faudrait vraiment que je m'interroge là-dessus), je pus me lancer dans un enseignement digne de ce nom. Et, comme une bonne nouvelle n'arrivait jamais seule (ma quasi-adoption par les Bhumes, mon semblant d'amitié naissante avec Sabrang), mes premiers efforts pour constituer un potager dans la terre détrempé de ce coin reculé de l'Inde commençaient à porter leurs fruits. Des pousses d'un vert tendre et délicat s'extirpaient du sol et venaient se couler sur le terrain. La pluie n'en finissait pas de tomber mais cela ne semblait pas les décourager, tant elles semblaient avides d'eau et de fraîcheur.
Néanmoins, j'étais parfaitement conscient que l'agriculture sous le déluge n'était pas la seule forme de culture qui serait utile à mes Bhumes. Grâce à l'aide de quelques amis de Sabrang, qui était décidément mon héros personnel, nous découpâmes magiquement l'espace qui m'avait été alloué en quatre : deux zones humides et deux zones sèches, elles-mêmes réparties en deux autres périmètres : l'un où l'on permettait la nature faire son œuvre, où l'on laissait le temps au temps, et l'autre où on l'assistait avec de la magie, de sorte à accélérer un peu les choses. Le principe était de leur faire comparer avantages et inconvénients en direct live. Contrairement à ce que certains de mes potes sorciers, au pays, semblaient croire, la magie n'était pas la réponse à tout. Évidemment, un carré de citrouilles ensorcelées livrait ses fruits bien plus tôt que des plants traditionnels, mais j'y trouvais, à titre personnel, une légère altération dans le goût. Un vrai gourmet ne s'y serait pas trompé. J'essayai de leur transmettre non seulement la théorie et la pratique, mais également les petits détails qui, à mon sens, faisaient toute la différence. Sabrang et quelques autres m'aidaient à me faire comprendre en proposant des traductions spontanées quand un mot ou une terme plus technique échappait à certains. Nous nous lancions parfois dans des débats animés pour essayer de définir exactement ce que diable j'avais bien pu vouloir dire. En parallèle, je leur enseignai certains des gestes essentiels, passant derrière chacun pour modifier la tension des bras, la posture d'un buste, toujours avec bonne humeur.
Ce qui m'avait d'abord paru être une tâche insurmontable devenait franchement plaisante. En dehors de mes heures matinales consacrées à mon pseudo-enseignement, les Bhumes semblaient de mieux en mieux m'accepter en leur sein et m'invitaient à partager certains moments de leur quotidien. Enfin, je pus assouvir ma curiosité légendaire et découvrir un peu de leur vie de tous les jours. Nous n'en étions pas encore à nous lancer dans de grands débats théologiques, mais une barrière était indéniablement tombée et certains Bhumes se montraient moins méfiants, moins timides. Notamment parmi les jeunes de ma génération. Je commençai à prendre plaisir à cette mission que j'avais trouvée, dans un premier temps, rébarbative. Je devenais même sensible à la poésie de cette pluie qui ne cessait de noyer le paysage.
Vers la fin de ma troisième semaine sur place, Sabrang m'invita même à quitter ma petite cabane moisie pour m'installer chez lui. Il partageait une petite maison avec un jeune frère (Sabrang, lui, devait avoir un âge sensiblement égal au mien). Les soirées gagnèrent en animation. Bref, je passai des moments plutôt agréables.
Mais ça, c'était avant que...
Avant que...:
Quatre OUI : Sabrang ne devine que j'avais un peu craqué pour lui Trois OUI - un NON : la mousson ne s'arrête Deux OUI - deux NON : un animal fou saccage, le temps d'une nuit, tous nos efforts de culture Un OUI - trois NON : un adepte d'une secte carnivore entame sa tournée au village Bhume dans le but de rallier des adeptes Quatre NON : une maladie s'infiltre dans mes veines et manque à moitié de me terrasser
Dernière édition par Abraham McCamlhan le Jeu 10 Juil 2014 - 20:53, édité 1 fois
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 19 Juil 2014 - 20:33
« Mais ça, c'était avant qu' un fanatique d'une secte carnivore entame sa tournée au village Bhume dans le but de rallier des adeptes... »
Jour 25 • Le fanatique
A priori, rien ne distinguait ce matin des précédents. Comme à chaque lever de soleil, j'étais déjà sur pied (et Merlin que le jour se levait tôt, dans ce coin du monde !) et m'esquivais furtivement pour aller faire une inspection en bonne et due forme de mon terrain d'exercices végétaux. Sous la pluie, bien évidemment. Elle était presque devenue un élément essentiel du paysage. Je n'y prêtais plus qu'une attention distraite. A croire que je m'étais habitué à avoir les chaussettes mouillées à longueur de journée. Il faut dire qu'avoir grandi en Écosse constituait un entraînement intensif à lui tout seul. Je notai donc mentalement la pousse et l'évolution des différentes espèces plantées. Ainsi, les courgettes prospéraient sans peine tandis que les radis s'étiolaient pauvrement. Une affaire de climat ou de nature du sol, je suppose. On ne m'avait pas non plus demandé de mener une étude des couches et sous-couches sémantiques du continent asiatique...
J'en étais donc à compter mes pommes de terre, quand j'aperçus du coin de l'œil une silhouette qui s'avançait à l'orée du village. Derrière lui trottaient une petite douzaine d'animaux, à pattes et à cornes.
* Qu'est-ce que …?
L'homme était vêtu d'une sorte de drap qu'il avait enroulé tout autour de son corps avec un art consommé (je veux dire par là que si, moi, je me fous un drap en guise de tenue improvisée, je ressemblerai probablement à un tas de nippes mal dégrossi). Il marchait à pas lents, avec une certaine assurance, et un calme tout aussi certain. Le tout lui conférait une sorte d'aura majestueuse plutôt impressionnante. Ce type n'avait pas l'air du gars qu'on avait envie de contrarier. Je le saluai façon locale et décidai de ne pas m'éterniser. Je savais que mes cheveux couleur de feu n'étaient pas toujours très bien perçu par les autochtones. J'avais bien deviné, au début, quelques gestes dissimulés, adressés à mes silhouette d'écossais et visant à repousser le démon. Je m'esquivai donc sans demander mon reste, préférant à une confrontation probable, le petit déjeuner divin que Sabrang m'offrait chaque matin. J'appréciai chaque jour un peu plus ce gars.
La matinée reprit son cours normal et j'en oubliai même l'étranger (qui, au final, était bien moins étranger que moi, mais passons sur ce fait...).
J'étais en plein milieu d'un cours (pas très) magistral sur l'art de réaliser des boutures (allez donc traduire sans en hindi …!), quand une voix s'éleva au dessus de la masse. Les paroles, scandées, ressemblaient à s'y méprendre à un chant. Puissantes, elles étaient prononcées dans cette langue dont je connaissais à peine quelques mots (ça vous intéresse de savoir dire « citrouille » en hindi?), mais l'attention de mes élèves me fut arrachée. Je les voyais presque physiquement tendre l'oreille. Une bonne partie d'entre eux déserta notre salle de cours à ciel ouvert pour rallier l'auditoire déjà bien fourni de l'inconnu. Entêtement, obstination ou fierté blessée, appelez ça comme vous voulez, mais, quand bien même il ne me restait qu'une poignée d'élèves (les Hindous, comme la plupart des peuples de la planète, avaient le réflexe « mouton » chevillé au corps), je persévérai dans mon cours. Je me surpassai, même. Je crois que jamais je n'avais été aussi éloquent, aussi patient, aussi enthousiaste. Je savais que Sabrang, comme ses amis (eh oui, c'était eux les valeureux guerriers à être restés...), n'étaient pas dupes de mon manège, mais ils n'en dirent rien.
La leçon finit, ils s'esquivèrent à leur tour pour aller tendre une oreille aux discours du type au drap.
Malgré tout, je ne me faisais pas plus de souci que cela. Je comprenais même. On appelait ça l'attrait de la nouveauté. Mais, dès le lendemain, tout reviendrait dans l'ordre.
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Sam 19 Juil 2014 - 21:25
Jours 26 à29 • Le recrutement intensif
* Ô, crédule créature...*
A peine entamée la journée, je n'étais pas loin d'être d'accord avec ma conscience.
Au lieu d'avoir perdu l'attrait de l'inédit, le nouveau venu semblait avoir attiré encore plus de monde à sa deuxième session. Et moi, j'étais vexé comme un pou qu'il réussisse en deux jours, ce à quoi je n'étais parvenu qu'après près de deux semaines d'efforts intensifs. Et encore, avec moins de succès que lui. Il débarquait comme un cheveu sur la soupe et les Bhumes l'adoraient sans même se poser de question. Y avait de quoi écorcher même les moins susceptibles. Surtout qu'en dépit de mes efforts et du semblant de confiance que je croyais avoir gagné, les villageois m'avaient laissé tomber comme une vieille chaussette. J'en avais assez, j'avais envie de tout envoyer valser mais...
* Mais tu signes ton expulsion définitive du Royaume-Uni... *
J'en étais bien conscient. Et c'était bien pour ça que je n'avais pas cédé à mon instinct de barbouiller chaque maison du village d'une bonne salve de boue. Puéril mais libérateur. Au lieu de ça, je bouillais intérieurement, en prenant garde de n'en rien montrer à l'extérieur. Mais je me connaissais suffisamment pour savoir que je n'avais pas des nerfs en acier (loin de là) et que le jour où je finirai par craquer serait à lui seul un véritable moment d'anthologie.
Le cœur lourd et l'esprit contrarié, je me rendis malgré tout à ma leçon du jour. Que je débitai sans grande passion. Le contraste avec la veille n'aurait pu être plus frappant. Pourtant, mes élèves étaient plus nombreux que la poignée qui m'était restée en fin de matinée. La « leçon » terminée, ils s'éparpillèrent pour s'en retourner à leurs occupations (tandis qu'une file d'attente perdurait devant l'arbre sous lequel l'intrus avait élu résidence). Sans dire plus de deux mots, Sabrang serra tranquillement mon bras comme pour m'assurer de son soutien. A ce stade-là, il ne m'en faudrait pas beaucoup plus pour tomber amoureux.
Et la même rengaine s'effectua le jour suivant. Et le suivant encore. Ils semblaient sans cesse plus nombreux à prêter une oreille attentive au prédicateur.
Un soir de la fin de cette semaine-là, je m'apprêtais à suivre Sabrang (il m'avait convaincu de le laisser m'initier à son métier à lui... Il était enchanteur. Je veux dire par là qu'il inventait des enchantements, pas qu'il était particulièrement charmant... quand bien même. Perso, je le soupçonnai de s'être mis en tête d'abolir me difficultés avec la magie, mais je n'en disais rien et profitai de ces moments ensemble... Il aimait tout particulièrement travailler le soir, quand la pluie semblait enfin se calmer et qu'on apercevait même deux-trois étoiles. Je trouvais ça plutôt romantique mais me gardais bien d'en montrer quoi que ce soit...), quand un gong résonna dans l'air. Les vibrations semblèrent se répercuter à l'infini et me filèrent la chair de poule. Presque contre mon gré, je me dirigeai vers l'origine du son et me retrouvai, comme tous les autres, aux pieds de l'intrus débarqué de la veille, qui m'apparaissait de plus en plus comme un type franchement inquiétant. Et pour cause, il arborait l'air de ce genre de gars qu'on voit le plus souvent un immense couteau dans la main et l'intention de s'en servir greffée sur la visage. Devant lui, une simple table en acajou.
Le type se lança dans un long discours qui hypnotisa à moitié la foule (on aurait dit que tout le village avait répondu à l'appel... je ne pouvais guère les juger, j'étais du lot). Oublié le repas dsoir, la pause bienvenue après une dure journée de labeur. Les Bhumes semblaient boire ses paroles. A mes côtés, Sabrang tentait de me traduire des bribes de discours. De ce que j'en comprenais, l'homme nous narrait un conte tout droit sorti d'un recueil théologique quelconque. Soudain, surgie de nulle part, sa baguette s'agita presque d'elle-même (c'était donc un sorcier, à l'instar de la communauté Bhume. Oui, je suis d'une logique fulgurante, je sais !). Je craignis un instant qu'il ne fasse de moi un quelconque martyr à sa cause mais non... D'un sortilège, il se contenta de convoquer un bouc qu'il immobilisa sur la table. Il se lança à nouveau dans une harangue psalmodiée, fit une pause théâtrale et...
« Avada Kedavra !! »
Je vous jure, comme ça, en direct live. Comme un premier année aurait jeté un Alohomora : sans une hésitation, sans un sourcillement. Sur la table, les yeux du bouc s'étaient remplis de vide. La vie l'avait quitté. Un écœurement sans nom me saisit. Comme tout le monde, je mange un bout de jambon ou un un de porc quand l'occasion se présente, mais voir cet animal abattu pour le spectacle me rendait malade. Le discours du type prit soudain tout son sens. Les différents éléments, glanés avec et contre mon gré, s'agencèrent, s'assemblèrent pour donner une signification à ces deux derniers jours. Je n'eus presque pas besoin de Sabrang pour comprendre que mon inconnu était un adepte de la secte des Primdurbras, pour qui le sacrifice animal était monnaie courante. Entre autres barbaries. Mais autour de moi, les Bhumes étaient enthousiastes, presque excités. Je pris enfin la mesure de nos différences. A mon corps défendant.
Je m'éloignai sans rien dire, m'esquivant en douceur, tandis que les Bhumes acclamaient leur fanatique préféré. J'en revenais pas que les Bhumes se fassent abuser aussi facilement. Un crétin charismatique au ton convaincu se pointait comme une fleur, débitait un discours surfait. et pouf, il n'en fallait pas plus pour les abrutir et gagner leur allégeance. Je crois que j'étais un peu déçu de les découvrir si malléables.
Et ça ne fait que commencer:
Le lendemain... Trois OUI:pendant la nuit, le fanatique a détruit l'entièreté (ou presque) de mes efforts agricoles Deux OUI - un NON : le fanatique me désigne comme un hérétique et appelle la colère de son Dieu sur moi Un OUI - deux NON : on me demande de participer aux « festivités » et de me joindre à des sacrifices à grande échelle Trois NON : le fanatique décide de faire de moi un martyr à sa cause
Dernière édition par Abraham McCamlhan le Sam 23 Aoû 2014 - 20:22, édité 3 fois
Sujet: Re: In every possible way • mission Bram Dim 24 Aoû 2014 - 12:27
« Le lendemain...le fanatique me désigne comme un hérétique et appelle la colère de son Dieu sur moi. »
Jour 30 • La Marque
Je m'abstiendrai ici de faire une fois de plus le récit de ma matinée, récit qui commence à être vaguement lassant. Qu'il soit seulement dit que je fis mon mieux mais que je dus livrer une bataille intensive contre mon ego, histoire de dompter ma mauvaise humeur et de refouler ma vexation à me voir relégué au second plan. Il y avait pourtant une étrange recrudescence dans mes effectifs, ce matin-là. J'aurais été de nature moins modeste (sic), j'aurais presque cru que mon charisme naturel avait séduit les Bhumes et les avait ramené à moi au-delà des tentations dérisoires (ouaip ! Je venais de traiter mentalement le fanatique de tentation dérisoire... pas pu m'en empêcher...). Et j'aurais eu bien tort.
Comme à mon habitude, à la fin de ma session de botanique, je recouvris les plantes les plus fragiles d'une bâche, destinée à les protéger des pluies trop coriaces et des substances plus ou moins nocives qu'elles pouvaient receler (l'Inde non plus n'avait pas échappé à l'industrialisation et à son cortège inévitable de pollution). J'avais à peine terminé que des poignes de fer se refermèrent sur mes bras. Pas le temps de comprendre ce qui se passait, je fus à moitié soulevé de terre et traîné sur la moitié du village, comme un môme ayant fait un caprice. Je vous dis pas la honte. J'avais probablement rougi des pieds à la tête. Et pourtant, je ne me débattis pas.
* Trop choqué ? *
Oui et non. J'avais bien tenté un Je suis innocent !, mais personne ne sembla comprendre ma protestation. On devrait toujours savoir dire une phrase de ce genre dans la langue du pays. Je venais de le rajouter à ma longue liste de notes en vue d'une prochaine excursion. J'étais estomaqué, certes... mais c'est surtout que je savais que toute rebuffade serait inutile. Quand on a deux colosses pour ravisseurs et toute une flopée d'étrangers désintéressés de mon sort pour spectateurs... Bref, je risquai pas d'aller bien loin. Docilement, je les laissai me guider...vers le fou furieux.
« C'est une blague ? »
Mon fanatique n'avait pas franchement l'air de se poiler. Too bad. Les deux colosses me placèrent à ses côtés, sans me lâcher. Peut-être qu'ils avaient peur de je m'enfuis et que je mette le village à feu et à sang ? Sérieux, les gars, c'est l'autre type, là, qui est malade dans sa tête, à jeter des Avada juste pour le plaisir de la démo... ! J'avais comme un doute que mon argumentaire convainque qui que ce soit...
Face à moi, la foule. Monsieur et son épouse... et même les enfants. C'était le grand rassemblement. Une fois de plus. Et l'adepte de Primdurbras commença à parler. Même moi, et bien malgré moi, je tendais l'oreille à son discours dont je ne captais qu'un mot sur cinquante. Il y avait dans sa voix quelque chose de fondamentalement fascinant. Presque hypnotique. En mon for intérieur, je pouvais presque comprendre la fascination des Bhumes pour ce type. Presque. Mais je ne l'aurais jamais avoué. Surtout quand je voyais leur visage se fermer, au fur et à mesure de son discours. Les regards qu'ils me jetaient étaient de moins en moins amènes. Intrigués dans le meilleur des cas. Franchement hostiles dans le pire.
Et le fanatique, pour conclure son sermon, s'empara de sa baguette et la pointa droit sur mon front.
« Hé ! No way ! Vous pointez ça ailleurs. Même pas en rêve ! »
Je reprenais du poil de la bête avec un temps de retard. Trop tard. Ma propre baguette était devenue le fétiche d'un perroquet local et je n'avais que mes deux mains pour me défendre. Dommage qu'elles soient immobilisées par les deux autres brutes. Le fou marmonna quelques mots dans cette langue qui m'étaient jusqu'alors si délicieusement étrangère et je sentis mon front me brûler. Quelle drôle de revanche prenait-il là sur moi ? Pour la toute première fois depuis mon arrivée au village, j'étais la star incontestée de tous les regards.
Puis, soudain, le grand spectacle prit fin. Le fanatique prononça encore quelques mots, d'un ton presque apaisé. De ses intonations et du langage corporel de la foule, je compris qu'il était parvenu à ses fins. Qu'il avait dû faire de moi un genre de bouc émissaire. Ou un exemple.
Nauséeux et vaguement déprimé, je cherchais du regard Sabrang. Ou tout autre visage familier et amical. Mais de préférence Sabrang. Que je ne trouvais pas.
Il me semblait que je n'étais plus contraint de rester là. La pression sur mes bars s'était relâchée. Le fanatique avait eu de moi ce qu'il voulait. Ça se voyait au regard victorieux qu'il posait sur ma petite et insignifiante personne.
Sans demander mon reste, je m'esquivai au plus vite, pour aller me fondre dans la forêt. Le seul endroit où je me sentirais enfin à l'abri des regards.
Spoiler:
Quels sont les effets de la marque que le fanatique lui greffé sur le front ?
Oui Oui Oui → il s'agit seulement d'un signe le mettant à l'écart de la communauté et le signalant comme un hérétique. Oui Oui Non → la marque est le signe extérieur d'un sortilège visant à réveiller le carnivore en lui Oui Non Non → la marque provoque des visions visant à éclairer Bram sur la grandeur de la secte. Le fanatique lui-même dicte ces visions par le biais d'un sortilège Non Non Non → elle provoque chez Bram des symptômes inconnus et le fait dépérir à petits feux.
Spoiler:
Dans la forêt, que se passe-t-il ? Oui Oui → Sabrang le rejoint Oui Non→ Rien Non Non → Bram se fait attaquer par une créature locale
Dernière édition par Abraham McCamlhan le Dim 24 Aoû 2014 - 12:28, édité 2 fois