La femme pleurait et le bébé hurlait.
Le médicomage enroula rapidement le nouveau-né dans des couvertures et le confia à son assistante avant de revenir au chevet de la mère. Elle et lui savait ce qui était en train d'arriver, ce qui était inévitable. Le sang maculait les draps de la petite chambre de la maison familiale des Daugherty. Trop de sang, trop pour la transporter à Sainte-Mangouste, trop pour la sauver. Alors le médecin se contenta de lui attraper la main. «
Rosario... Steven. » Et il n'y avait rien à ajouter. L'assistante revint bientôt avec le petit bébé nouvellement nommé et la mère passa ses derniers instants avec son unique fils. L'enfant s'était enfin tu, rassuré par la présence de celle dont il avait prit la vie. «
Monsieur, ne devrions-nous pas... » Le médicomage interrompit son assistante et apprentie d'un regard et lui intima un ordre silencieux : regarde. Il y avait des cas où ils étaient impuissants et il valait mieux qu'elle l'apprenne le plus rapidement possible. «
Date et heure du décès : 31 août 1955 à 23h12. » Sans rien ajouter, le médecin lâcha la main de la défunte et attraper le bébé endormi, le serrant un bref instant contre lui. A présent, il lui restait à l'annoncer au reste de la famille, le moment le plus douloureux. Il y avait la grand-mère, le grand-père et l'oncle, en bas, qui attendaient. Le père ? Il avait été envoyé en prison il y a quelques temps pour une raison dont il n'avait pas eu vent. Enfin l'enfant ne grandirait pas seul, c'était déjà ça.
***
Les affaires de Margaery Daugherty avaient toujours été bien rangées, bien triées, sans que rien de dépasse. Les vêtements étaient classés par ordre de couleurs et les livres étaient bien évidemment par ordre alphabétique. La vieille femme avait fonctionné ainsi toute sa vie et avait toujours cru que son existence resterait aussi prévisible que ses rangements. Elle avait eu deux fils en excellente santé, Henry et Erwan, et un charmant époux. Et puis les choses s'étaient compliqué lorsque non pas un mais ses deux enfants furent déclarés sorciers. Magiques. Porteux de pouvoirs étranges qui virent bouleverser le quotidien de Margaery. Des années après - des années compliquées - son aîné se trouva une copine. Il avait alors dix-neuf ans et son frère cadet dix-sept. Et puis cette copine, Maria, était tombée enceinte et Henry avait fini en prison. Dans un asile pour sorciers, pour être plus exact. L'enfant était né, menant la jeune Maria droit dans la tombe, et Margaery s'était demandée si ce n'était pas un sale tour du Diable, cet enchaînement d'événements malheureux. Bref, peu importe les sombres pensées que nourrissait la trop jeune grand-mère, elle éduqua pourtant le petit Rosario, lui enseignant tout ce qu'elle savait. Et c'est ainsi qu'elle se retrouva, ce jour-là, à l'observer dans le jardin, dissimulée derrière les épais rideaux du grand salon. L'enfant jouait tranquillement dans la cour avec le chat. L'animal poursuivait gaiement un papillon, Rosario sur ses talons. Et la grand-mère priait pour que jamais il ne développe de pouvoirs comme son père et son oncle. Ces sept dernières années, elle s'était prise à aimer cet enfant, à le chérir comme rien d'autre. C'était son unique petit-fils, un gamin remarquablement alerte qui savait prendre la vie au jour le jour.
Suivant des yeux les arabesque du papillon, le chat et Margaery se figèrent au même instant. Rosario éclata d'un grand rire heureux : le papillon avait simplement disparu en plein vol et battait à présent faiblement des ailes entre les doigts du garçon. Les larmes montèrent aux yeux de la grand-mère qui se retint de descendre en courant. «
Tu le savais déjà, non ? » La voix douce de son époux la fit sursauter. Disons qu'elle s'en doutait mais qu'elle s'était trop longtemps voilée la face.
***
Rosario repoussa sa grand-mère, fixant le train rouge avec impatience. Il avait reçu sa lettre pour Poudlard, la grande école de sorcellerie britannique quelques jours plus tôt. Son anniversaire tombant le 31 août, cela avait été juste mais il ferait tout de même sa rentrée cette année. L'enfant de onze ans à peine se sentait rempli d'énergie à l'idée de quitter enfin la vieille maison familiale et ses grands-parents poussiéreux pour le château que son oncle Erwan lui avait décrit avec tant d'enthousiasme. Rosario sauta à moitié dans les bras dudit oncle, adressa un dernier signe de la main et disparut dans le train, traînant derrière sa valise presque aussi grosse que lui.
***
«
Je me demandais si j'aurais une suite pour les Daugherty... Je suis presque déçu. Toutefois, je dois reconnaître que la maison de tes aînés te conviendrait à merveille. Prends garde aux chemins dorés. » La voix du Choixpeau, que seul Rosario entendait, s'interrompit le temps d'une inspiration et le verdict éclata dans la grande salle. «
Serpentard ! » Une sensation douce-amère réchauffa le ventre du garçon qui s'empressa de poser l'horrible chapeau sur le tabouret et de gagner la table qui serait la sienne pour les sept années à venir. Le premier année était assez content de ne pas être tombé chez les Poufsouffles. C'était sans raison valable qu'il entretenait des a priori sur cette maison mais il aurait été infiniment malheureux de s'y retrouver. Quand à Serpentard... La maison en elle-même ne le dérangeait pas plus que ça, il savait qu'elle lui correspondait sur bien des points, mais il avait espéré se démarquer un peu de ses deux prédécesseurs. Il n'avait pas envie d'être comme les descendants de ces vieilles familles des livres d'histoire : une maison quasi-attitrée pour les membres. Non, lui rêvait de tracer son propre bonhomme de chemin, à sa manière, loin des autres. Et l'amertume de Rosario n'en était que plus grande puisqu'il savait que c'était précisément cet état d'esprit qui l'avaient mené là.
***
Le train quitta la gare quasi-déserte dans un sifflement. Rosario le regarda s'éloigner avec une pointe de tristesse : Poudlard était du passé, pour de bon. Sa septième année venait de s'achever comme le témoignait le départ du train qu'il ne reprendrait plus. En tant qu'élève, il savait qu'il n'avait pas été brillant. Seulement cinq BUSES sans doute moins d'ASPICS. Ouais, il avait vraiment tout d'un cancre. Mais bizarrement, il ne se faisait pas d'inquiétude. Ses talents étaient ailleurs, là où personne ne les aurait soupçonné. Certains à l'école en avaient fait les frais mais ils n'avaient jamais osé parler, jamais. C'était rester un secret entre ses victimes et lui. Oh, ce n'était rien de grave, Rosario connaissait les limites. Il savait lesquelles il ne devait pas franchir pour ne pas se voir renvoyé comme son oncle Erwan. Ce n'était pas une question de morale, celle-là il la mettait soigneusement de côté sans jamais venir lui demander son avis, mais plus une question de ruse.
Le train disparut pour de bon à l'horizon ; le regard de Rosario se perdit sur le quai. Plus personne. Il avait eu des amis à Poudlard mais pas beaucoup, juste ce qu'il fallait pour ne pas se sentir seul. Mais à présent, il se sentait un peu perdu. Il allait rentrer chez ses grands-parents pour l'instant, revoir son oncle et passer du temps avec lui, faire des trucs et des machins... Mais il n'irait pas à l'université comme les trois-quarts de ses camarades. Son niveau en magie était beaucoup trop faible pour cela et puis... question de motivation. Rosario n'était pas nul en magie à proprement parler, non non, il lui fallait juste beaucoup de motivation pour s'appliquer et encore davantage pour réussir. Et énormément de concentration aussi. Si tout était réussi, ses sortilèges pouvaient être parfaits, vraiment parfaits, sans un défaut. Mais ça avait dû lui arriver... quatre fois dans sa vie. Enfin ça n'importait pas beaucoup, il avait juste essuyé de nombreuses moqueries en sept ans, dont certaines qui s'étaient mal terminées.
Et il était seul sur le quai, le seul à regarder encore un peu en arrière.
***
«
Je t'aime, Lucas... » «
Je sais, moi aussi. » Rosario savait bien que cette fille quasiment seule au monde l'aimait. Mais il avait aussi désespérément besoin d'argent depuis qu'une de leurs petites affaires, à Erwan et lui, avait mal tourné. Elle s'était soldée par une fuite de justesse et la saisie de tous leurs biens. Leur compte à Gringotts avait bien évidemment été bloqué. Depuis, ils vivaient sans le sou, à la recherche d'arnaques faciles et sans aucun style. Ils y étaient bien obligés, dormir sous les ponts n'étant pas une activité très passionnante. Rosario avait finalement monté cette escroquerie-là. Avec patience, il avait charmé cette jeune demoiselle correctement dotée. Il lui avait marmonné des tonnes de je t'aime, l'avait écouté lui répondre avec passion. Et ce soir, c'était le coup final, le dernier chapitre de cette arnaque. Le jeune homme osa un baiser doux sur les lèvres de la jeune femme qui sourit et se blottit sous les draps. Ses boucles brunes chatouillèrent la joue de Rosario qui lui adressa un sourire, sans doute le dernier. «
Dors, tu te lèves tôt demain. »
Rosario patienta une bonne heure, histoire d'être sûr qu'elle dormait pour de bon et qu'il ne lui prendrait pas l'envie d'aller se promener. Il se glissa au bas du lit en silence en retenant un sourire satisfait. Elle lui avait dit, finalement. Elle gardait un coffre-fort dans un coin et elle avait fini par lui en donner le code. Oh, elle ne l'avait pas fait par bêtise mais parce qu'elle était absente et qu'elle avait bêtement besoin d'un truc se trouvant à l'intérieur. Alors elle avait fait confiance au jeune homme en lui demandant de lui apporter rapidement.
A présent, le coffre était vide, pour de bon. Il avait laissé les affaires personnelles et avait juste prit l'argent de secours qu'il contenait. Cette petite sorcière solitaire n'avait jamais été pauvre mais le voleur n'aurait pas cru qu'elle garde autant de mornilles et gallions chez elle. Bon, à vrai dire il avait bien pris autre chose que de l'argent : Rosario aimait les trophées et en voyant ce petit pendentif tout simple, probablement en or, il n'avait pas pu résister. Il se le passa au cou au moment où il franchissait la porte et s'arrêta, sentant un regard. Il se retourna lentement et leva les yeux : la jolie fille seule au monde le regardait par la fenêtre, en haut, un mélange d'étonnement et de perplexité peint sur ses traits. Puis elle avisa le bijou avec horreur. Un bref instant, la scène avait été romantique ; puis Rosario prit la fuite. Pas de nom, pas d'adresse, qui le retrouverait de toute façon ? Et il se rendit compte qu'il avait oublié sa vieille baguette en bois d'if et ventricule de dragon sur la table de nuit de la demoiselle, dans sa hâte d'en finir.